Monsieur le Président,
Cher.e.s collègues,
Ce qui va se passer aujourd’hui dans cet hémicycle, par l’adoption de la modification du règlement pour introduire des commissions délibératives réunissant des députés et des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort :
me réjouit personnellement, vu le travail de ces dernières années pour porter ce projet,
réjouit les écologistes qui portent cette proposition aussi depuis des années, notamment suite à l’Ecolab démocratie que le parti Ecolo a organisé en 2016, et je fais ici un clin d’oeil spécial à mon chef de groupe John Pitseys,
mais doit nous réjouir tous. Car ce texte est bien le fruit d’un travail collectif de tous les groupes politiques démocratiques qui va se poursuivre dans les prochains mois et qui démontre une maturité politique assez remarquable.
La sphère publique se caractérise trop souvent entre, d’une part, des initiés, et d’autre part, des profanes considérés comme ignorants et passifs en matière politique. Il n’est pas tolérable que pour peser sur les orientations publiques, il faille soit s’en remettre à des « professionnels » ou en devenir un ou une à son tour. Les citoyens et citoyennes n’ont pas qu’une voix lors des échéances électorales, on doit la leur redonner entre les élections. Philippe Van Parijs ne dit pas autre chose quand il affirme, comme d’autres, que la démocratie ne peut se réduire à la conjonction du suffrage universel et de la règle de majorité. Elle requiert aussi, par définition, un débat public à travers lequel toutes les parties concernées peuvent faire entendre leurs positions et leurs arguments et surtout influencer, du seul fait qu'on les sait à l'écoute, le contenu des discours et la teneur des décisions.
L’intérêt de ce que nous construisons aujourd’hui est, pour moi, double :
Premièrement, rétablir la confiance des citoyens envers les politiciens et permettre un dialogue entre eux :
Rappelons ici l’effritement de la démocratie représentative. La récente étude de 2018 du European Social Survey nous renseigne sur le bulletin désastreux que les citoyens et citoyennes nous adressent : -4,3/10 de confiance aux hommes et femmes politiques et un même score en ce qui concerne la confiance aux partis politiques.
En parallèle, on observe un déclin de la participation politique, analysée à travers l’augmentation de l’abstention électorale et le déclin de l’adhésion partisane. Ces dernières sont perçues comme des indices d’une démocratie qui ne fonctionne pas de façon optimale. Cette méfiance des citoyens envers la démocratie représentative doit être considérée comme un problème majeur. Car, elle débouche nécessairement sur des problèmes de légitimité, à partir du moment où ceux qui décident, ne représentent plus qu’une certaine proportion de l’électorat.
Deuxièmement, permettre l’adoption de décisions ambitieuses ce qui dans notre système traditionnel est parfois compliqué.
La Convention constitutionnelle irlandaise a permis d’avoir des décisions courageuses que des députés n’auraient pas osé prendre de peur de l’incompréhension de leurs électeurs et du risque couru à court terme. Nous savons que face aux enjeux de justices sociale et environnementale nous devrons adopter des décisions ambitieuses et courageuses, gageons que ce processus nous aidera à les adopter.
Par ailleurs, la démocratie délibérative vient compléter et réoxygéner la démocratie représentative. Si un mot central de la décennie est l’innovation, stimulée dans tous les domaines, il est interpellant de constater qu’il n’en va pas de même en démocratie. En effet, quand il s’agit d’organiser la société, nous faisons encore appel en 2019 aux schémas hérités de 1830. Les améliorations démocratiques de ce dernier siècle se sont presque exclusivement cantonnées au volet quantitatif, à l’élargissement du droit de vote aux femmes et aux non nationaux, alors que les réformes qualitatives sont rares.
Soyons conscients que les commissions délibératives ne constitueront pas la panacée qui permettront à elles seules d’endiguer le phénomène de la crise de la représentation politique. Il s’agit, toutefois, d’une pierre angulaire dans un changement de paradigme relatif à la politique qui repose sur, de façon non-exhaustive, la transparence, l’éthique, la proximité, le sens, l’engagement et la construction d’un monde plus juste.
Si certains estiment que c’est une première mondiale ce n’est pas parce que le processus ne se serait jamais produit mais bien parce qu’il est intégré dans notre mode de fonctionnement, au cœur du fonctionnement du parlement.
Certains ont pointé le fait que nous n’avons pu donner un pouvoir décisionnel aux citoyen.ne.s tiré.e.s au sort. Mais nous avons dû respecter le carcan constitutionnel actuel. Nous avons toutefois tenté d’en limiter les effets par des procédures de transparence et par le fait que les mêmes députés participent au processus de délibération et au suivi des recommandations.
Je tiens à vous remercier, députés de la majorité comme de l’opposition, pour les échanges et propositions qui prouvent qu’une co-création peut primer sur des logiques partisanes. Votre participation à ce changement important dessine un souffle d’espoir à l’heure où la démocratie représentative requiert un réapprovisionnement en oxygène.
Dans les prochains mois, nous aurons l’occasion de rendre plus concrètes les différentes étapes des commissions délibératives via la rédaction d’un vade mecum qui sera élaboré en concertation avec les services et des chercheurs et chercheuses dans le domaine de la participation citoyenne ainsi que des structures spécialisées dans la participation des personnes les plus éloignées des processus participatif avec l’ensemble des parlementaires. Au moment où la Belgique est reconnue internationalement pour ses blocages politiques, nous avons l’occasion unique de faire connaître sa capitale en matière d’innovation démocratique et de participation citoyenne aux orientations politiques. A une lasagne institutionnelle, préférons une auberge espagnole.